30/10/2023 : Réponse à l’Andra – Cigéo, « conforme » aux droits des générations futures ?

Le vendredi 27 octobre 2023, jour de la décision du Conseil constitutionnel sur la QPC déposée par les associations et habitant·es opposées au projet d’enfouissement, l’Andra s’est fendue d’un communiqué au titre pompeux : « Cigéo est conforme aux droits des générations futures ».

Problème : l’intitulé n’est pas seulement prétentieux, il est aussi faux. La QPC que nous avions déposée ne concernait pas le projet Cigéo en lui-même, mais le cadre légal qui l’entoure. Le principe de la QPC est de questionner la constitutionnalité d’une loi, jamais d’un projet en soit. Si elle feint de l’ignorer, l’Andra le sait très bien – mais n’hésite pas, comme on peut le voir, à manipuler les faits pour faire avancer sa communication politique.

Ce faisant, l’Andra omet pourtant de mentionner que la reconnaissance constitutionnelle d’un droit des générations futures à un environnement sain est avant tout un camouflet infligé à son propre argumentaire. Car c’est bien elle qui, par la voix de son avocat, s’est retrouvée à défendre devant le Conseil constitutionnel que les générations futures ne pouvaient avoir aucun droit :

« Certes c’est une idée altruiste, une idée généreuse, une idée humaine même ! […] Mais cela reste une idée qui n’est pas juridiquement opérante [car] les générations futures, peut-être, certes, seront, mais à l’heure actuelle elles n’existent pas »(1).

L’Andra nous dit donc en substance qu’on ne devrait pas reconnaître de droits aux générations futures car leur existence future est incertaine. Cet argument, d’un certain cynisme, contraste avec le discours habituel de l’Andra, selon lequel l’avenir est si prévisible qu’elle peut affirmer que tout risque lié à la sûreté et la sécurité nucléaire de Cigéo a d’ores et déjà été « écarté avec suffisamment de certitude »(2).

Mais de telles contradictions ne sont pas surprenantes de la part de l’Andra, qui tient à certains égards bien davantage d’une agence de comm’ et de lobbying que d’une institution sérieuse sur le plan scientifique.

Ce sentiment se confirme à la lecture de la conclusion de son communiqué : « La réversibilité repose sur une conception technique qui permet de garantir que le stockage est flexible et adaptable ».

Un tel niveau de langue de bois ne peut qu’amener à se demander si, à l’Andra, on n’a pas définitivement perdu contact avec la réalité. Un « stockage », c’est un complexe industriel souterrain en béton armé, ça n’est pas « flexible ». Quand à son caractère « adaptable », dans le langage de l’Andra, cela signifie simplement que, si besoin, on pourra l’agrandir pour le remplir avec encore plus de substances toxiques que prévu initialement – par exemple, si un certain gouvernement décidait de relancer le nucléaire.

La « réversibilité » au sens de l’Andra n’a donc rien à voir avec la garantie de pouvoir intervenir si, demain ou dans quelques centaines d’années, ces substances commencent à s’infiltrer dans les nappes phréatiques et à empoisonner l’eau potable du bassin versant Seine-Marne pour des milliers d’années.

Mais c’est bien normal puisque, d’après l’Andra, il est tout simplement impossible qu’un accident soit à l’origine d’une quelconque contamination radioactive. Tout risque n’a-t-il pas été « écarté avec suffisamment de certitude » : pourquoi donc s’embarrasser à préparer ce qui n’arrivera pas ?

C’est pourquoi, pour l’Andra, les seules raisons pour lesquelles on pourrait bien avoir l’idée de ressortir les déchets de là serait de les « valoriser ». Selon elle, il est ainsi plus probable que l’on cherche à repêcher ces déchets pour en tirer profit – par quel moyen ou dans quel but, nous préférons ne pas l’imaginer – qu’à la suite d’un accident.

L’Andra elle même voyait pourtant bien en 2009 l’importance de faire en sorte que la possibilité de retirer les déchets du stockage soit réelle et non simplement théorique :

« Le financement d’une opération éventuelle de retrait de colis ouvre une problématique à explorer d’ici 2015 : le financement d’une telle opération doit-il être assuré par la génération qui décidera de construire et d’exploiter un nouveau module de stockage, par exemple en constituant une provision pour une opération éventuelle de retrait futur, ou bien par la génération qui déciderait ultérieurement une opération de retrait de colis ? »(3)

Un tel provisionnement aurait au moins le mérite d’apporter une contribution et éviter que nos descendant·es n’aient à supporter seul·es le poids d’une coûteuse intervention. À quoi bon poser un principe de réversibilité si les générations futures ne sont pas, dans 50 ou 100 ans, en mesure d’en supporter le financement ?

On n’a pourtant jamais plus entendu parler de cette idée de provisionnement. Et pour cause : cela demanderait de reconnaître la possibilité qu’un accident puisse arriver. Hors de question pour l’Andra et pour l’État. Tant pis pour les générations futures.

Là se trouve le cœur du problème : c’est en refusant obstinément de reconnaître que ce projet comporte des risques et incertitudes à long terme proprement incommensurables, que l’Andra porte le plus préjudice aux générations futures.

Car après tout, pourquoi les protéger s’il n’y a aucun risque ?

(1) – Intervention de l’avocat de l’Andra à l’audience de l’affaire n° 2023-1066-QPC : https://www.dailymotion.com/video/x8ow2x4

(2) – Mémoire en défense de l’Andra, § 344-345 :

« Certes, il n’est pas contesté que la sûreté et la sécurité nucléaire doivent être envisagée au stade de la DUP. Toutefois, dès lors que l’existence de tels risques a été écartée avec suffisamment de certitude au stade de la DUP […], rien ne justifie de refuser de reconnaître à ce projet une utilité publique ».

(3) ?

27/10/2023 : La protection des générations futures enfin reconnue. Pour autant, le projet Cigéo n’est pas validé !

Saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) au sujet de la loi encadrant l’enfouissement de déchets radioactifs (projet Cigéo), le Conseil constitutionnel a reconnu ce 27 octobre 2023 l’existence d’une protection pour les générations futures.

C’est une décision historique qui ne valide en rien le projet Cigéo.

Une décision historique :

enfin une reconnaissance de la protection des générations futures

En France, la Charte de l’environnement affirme, au septième alinéa dans son préambule, « qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Pour le Conseil constitutionnel, « Il découle de l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ».

C’est en des termes inédits que le Conseil constitutionnel a donc reconnu la protection des générations futures et des autres peuples – ce qui sous-tend l’idée de fraternité également invoquée au soutien de la QPC.

En application de ce principe, le législateur devra à la fois garantir cette protection et en assurer l’effectivité. Cela représente une avancée historique !

C’est à partir des questionnements autour du projet Cigéo que le Conseil constitutionnel a été amené à prendre cette décision : d’une superficie de 270 ha en surface entre la Meuse et la Haute-Marne, et de 300 km de galeries et d’alvéoles à 500m de profondeur, il est censé accueillir des déchets radioactifs qui resteront dangereux plusieurs centaines de milliers d’années.

La loi[1] ne garantit pas la réversibilité de ce stockage et la récupérabilité des déchets au delà de cent ans, ce qui pose question sur les capacités décisionnelles des générations futures.

C’est ainsi, dans le cadre du recours contre la déclaration d’utilité publique de Cigéo devant le Conseil d’État, que ce dernier a soumis au Conseil constitutionnel, à la demande des associations requérantes, une « Question Prioritaire de Constitutionnalité » (QPC)[2]. Concrètement, il était demandé si ces modalités de stockage peuvent constituer une atteinte à la protection des générations futures.

Si le Conseil constitutionnel reconnaît l’existence d’une protection des générations futures, il estime que les modalités du stockage géologique profond, prévues par la loi, sont conformes à la Constitution.

Nous ne comprenons pas cette partie de la décision, car, en réalité, la réversibilité et la récupérabilité ne sont pas assurées ni pendant la phase d’exploitation, ni après la fermeture du site.

Pour autant, le projet Cigéo n’est pas validé

En effet, le Conseil constitutionnel a admis qu’ « en permettant le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine, [la loi est], au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptible de porter une atteinte grave et durable à l’environnement ».

Nous restons optimistes car cette décision ne signifie absolument pas que le projet Cigéo, dans sa globalité, est autorisé : seules les dispositions législatives prévoyant la réversibilité du projet ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel;

Nos organisations et les riverain⋅es requérant⋅es continuent de dénoncer les impacts de ce projet titanesque et extrêmement dangereux.

La prochaine étape est de poursuivre le recours devant le Conseil d’État pour faire reconnaître l’illégalité de la déclaration d’utilité publique du projet et de sa reconnaissance comme opération d’intérêt national.

Contact presse :

Stéphane-Laurent Texier, Avocat au Conseil

Lisa Pagani, Coordinatrice des questions juridiques- Réseau « Sortir du nucléaire »

Maxime, France Nature Environnement

Laura Monnier, Responsable juridique – Greenpeace France

Bernard Laponche, Président de Global Chance

Juliette Geoffroy, CEDRA

Les organisations requérantes : Arrêt Nu Nucléaire Drôme-Ardèche Arrêt Du Nucléaire 34 ASODEDRA Attac France Attac Vosges Bure Zone Libre CACENDR CEDRA Champagne Ardennes Nature Environnement Confédération paysanne Grand Est Confédération paysanne Meuse EODRA France Nature Environnement Global Chance Greenpeace France Les Habitants Vigilants du canton de Gondrecourt Observatoire du Nucléaire Réseau Sortir Du Nucléaire Stop Transports – Halte au Nucléaire Tchernoblaye Vosges Alternatives au Nucléaire et 12 autres organisations.Les riverain⋅es du projet Cigéo : Antoine Claude Barrilliot Laurent Biro Catherine Labat Christian Labat Danielle Labat Michel Laurent Barillot Laurent Robert Bernard Robert Françoise Tincelin Adel et 20 autres personnes.

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032933871

[2]https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/2023-08/20231066qpc_saisinece.pdf

16/10/2023 : Droit des générations futures !

En septembre 2022, nos organisations aux côtés de plusieurs riverains et riveraines, ont déposé un recours pour contester la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) du projet de centre de stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde (dit projet Cigéo).

Cigéo est le projet censé accueillir les déchets radioactifs de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) produits par l’industrie nucléaire.

Ce recours a été l’occasion de poser une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Cette procédure permet  de questionner la conformité de ce mode de traitement des déchets HA et MA-VL par rapport à notre Constitution.

Plus précisément, le Conseil constitutionnel sera donc amené à se prononcer sur la teneur de la protection que notre norme suprême accorde aux générations futures.

Par une décision du 2 août dernier, le Conseil d’État a en effet considéré que la QPC était nouvelle en ce qu’elle tend à la consécration de principes inédits tels que la solidarité transgénérationnelle ou la fraternité intergénérationnelle (n° 467370).

 Audience à venir le 17 octobre prochain à 9h30.

Aucun rassemblement n’est prévu le jour de l’audience.

Vous pourrez regarder l’audience publique le jour-même en différé à partir de 14h sur le site du Conseil Constitutionnel.

Le 27 octobre 2023, à l’occasion de l’annonce de la décision du Conseil constitutionnel, qui sera quelle qu’elle soit historique, nous organiserons une conférence de presse dont les détails seront annoncés prochainement.

Vous pouvez retrouver les différentes observations relatives à cette QPC ici.

Signataires :

Organisations nationales
ATTAC France
EODRA
France Nature Environnement
Global Chance
Greenpeace France
Observatoire du nucléaire
Réseau « Sortir du nucléaire »

Organisations locales :
Arrêt du nucléaire 26-07
Arrêt du nucléaire 34
ASODEDRA
ATTAC Vosges
Bure Stop 55
CACENDR
CEDRA
Confédération Paysanne de la Meuse
Confédération paysanne Grand Est
Les Habitants Vigilants de Gondrecourt
Meuse Nature Environnement
SDN 72
Stop Transports-Halte au Nucléaire
Vosges Alternatives au Nucléaire

Riverain⋅es du projet :
Antoine Claude
Barrilliot Laurent
Biro Catherine
Labat Christian
Labat Danielle
Labat Michel
Tincelin Adel